Il était une fois trois sœurs qui vivaient au pays du papier. Elles s’appelaient Calligraphie, Typographie et Photographie. On venait de loin pour connaître leur science.
Leur hôte, le papier était né il y a fort longtemps en Chine. Il était très humble, refusait de signer ses œuvres. Il cachait son nom, laissait uniquement son empreinte dans la fibre de telle sorte que la lumière en transparence livrait l’identité des mains qui l’avaient façonné. Cette empreinte, seuls les connaisseurs savaient en décrypter le sens.
On l’appelait filigrane car les mains expertes avaient formé d’un fil de fer immergé dans la pâte de chiffons broyés, le dessin de cette signature.
J’étais venu dans ce pays pour connaître la langue des trois sœurs. Un jour, comme je travaillais à accorder geste et pensée pour former l’initiale f de Filigrane, la calligraphie me dit (elle avait guidé mon regard vers l’extrémité d’une tige de bambou) : « Ton calame dessine les gestes de mains auxquelles tu donnes vie. Mains de danseuse (cette tige de bambou), mains d’artisan, de vigneron, d’ouvrier. Mains de musicien, d’écrivain. La tige du bambou qui ondule, la main de la danseuse proviennent d’un même auteur, d’une même intention : la recherche de l’équilibre, l’élégance, l’éloge de la création ».
Encouragé par ces paroles je traçais d’un geste appuyé une oblique verticale se refermant à la racine. Le fût souple et déjà puissant d’un jeune hêtre.
La typographie intervint : « Nous marierons plus tard cet enfant à une lettre que je vais maintenant dessiner. Ce sera une Didone, une lettre aux tous fins déliés, lettre dessinée au poinçon.
À l’image de la fin du XVIIIe français, une enfant pétillante et romantique. Elle excellera dans l’interprétation de Mozart.
La photographie restait à l’écart, observait.
« Je suis une contemplative (je me fais souvent le reproche de ne point agir), ne m’en veuillez pas de rester ainsi en retrait, c’est ma nature. Je voudrais fixer la fraction de seconde de vos gestes, de vos regards qui ne reviendront jamais.
En les isolants, en les fixant, je voudrais vous enseigner la richesse de chaque instant. Je suis un petit morceau de vie qui reste sur une feuille Fragile ».
Pierre Parcé