Exposition « Paysages en vie »

Présentation de l’exposition par Pierre Parcé :

Paysages en vie,

Forêts méridionales, chapelles romanes à la morphologie de vigneron banyulenc, de taille modeste en comparaison de la cathédrale de hêtres de La Massane, ici on écoute le silence. Le soleil crible de taches l’humus au sol à la manière de mille spots perçant le feuillage. Je viens là deux ou trois fois l’an photographier ; le lieu est habité par des êtres de mythologie, une tenue correcte est exigée.

Discipline de l’observation, la photographie enseigne la contemplation. Technique de reproduction de prime abord, sa science consiste en l’art du cadrage, une forme de tir à l’arc. Fixer l’instant à l’aide d’une flèche pacifique.

À la proposition de Stéphane Vallière du CAUE des Pyrénées-Orientales de présenter une exposition sur les paysages de la Côte Vermeille, j’ai choisi d’écarter la démarche désincarnée d’un magasine touristique, paysages sans défauts sur papier glacé au bleu de ciel polarisé.

Noir & blanc ou couleurs ? Les grands espaces inhabités étouffent une fois reproduits dans le rectangle d’un cadre d’un écran, quelles que soient les tonalités. Pourtant la photographie sait émouvoir quand elle conte le lien des êtres à leur terre ; là où ils sont nés, terre qui les accueillit, qu’ils travaillent, où ils se reposent, où ils reposeront. Aussi je me suis essayé à un récit qui commencerait au sud, s’achèverait à Collioure, raconterait la vie de celles & ceux qui modèlent, sont modelés par ces paysages.

Cerbère. Le cercle des roues semble inspirer une architecture de courbes apaisantes. Le bleu attique du ciel et de la mer apaise la pénibilité du travail que suggèrent des géométries métalliques.

Aux abords de la route qui domine la mer en direction de Banyuls, je découvre de tous récents aménagements, des murettes empreintes du perfectionnisme vigneron de ce terroir, elles forcent l’admiration. Puis j’erre dans l’arrière-pays. Chemin de Walter Benjamin, Querroig, vignes en terrasses, forêts de la Rubira de Pouade.

Travaillant à ce projet en commençant par la consultation de mes archives, dans le choix des paysages illustrant tout particulièrement la vigne j’écartai d’emblée « l’avant – après » que me permettaient les nombreux négatifs que mon grand-père Léon Parcé réalisa dès 1923. Je choisis plutôt des images d’intemporalité car je voulais écarter tout passéisme ce qui n’interdit le constat par les images des erreurs commises dans le domaine paysager. Mais ces documents anciens illustreront par exemple un terroir « d’avant les pistes ». On comprendra à leur lecture la problématique du transport des raisins récoltés, son incidence sur leur type de vinification. Importance de la dimension documentaire de la photographie. Vie et respect d’un terroir, aménagements et expérimentations dans celui-ci, amélioration des vinifications ; ces documents permettent de justes argumentations pour un débat sur l’enracinement et la modernité. Les photographies signées Léon Parcé sont présentées dans la seconde partie de l’exposition.

Mais les êtres se rassemblent dans les villes. À Port-Vendres dans les années soixante l’architecte Muchir dessine une gare maritime dont les photos d’archives illustrent l’empreinte de sa signature inspirée de l’architecture athénienne d’après-guerre.

Collioure se devait d’être célébré par une image latine, la voile des barques historiques de notre mer. Je l’ai célébrée également par une image d’Épiphanie. Revenant d’un voyage hibernal un dimanche de la dite fête, la lune sur la chapelle Saint Vincent luit telle une étoile grâce à la diffraction de l’objectif.

Pour lier les époques j’ai utilisé dans les vues argentiques récentes, un objectif de 1939 au rendu spécifique que les optiques contemporaines ne connaissent pas. Les légendes jouxtant les tirages précisent la date, le lieu du sujet ainsi que les informations techniques de prises de vue et de tirage. Dans le cas des tirages argentiques, ceux-ci sont exécutés par mes soins, de petites dimensions par choix.

Pierre Parcé


Présentation de l’exposition par Marc Parcé

Ces photographies ont été prises par notre grand-père Léon Parcé (1894-1979) et pour certaines d’entre elles, il y aura bientôt, dans deux ans, un siècle. Elles ont été faites par un homme né au Puig del Mas, à la fin du XIX e siècle amoureux de son pays. Elles ont été faites par un paysan enraciné dans son terroir. Elles nous interrogent : Banyuls qu’as-tu fait de tes paysages ? Elles nous renvoient à notre passé mais pour autant nous permettent de comprendre combien il est nécessaire qu’il éclaire notre présent pour construire notre avenir sans pour autant sombrer dans un immobilisme morbide et mortifère : 

« Il serait vain de se détourner du passé pour ne penser qu’à l’avenir. C’est une illusion dangereuse de croire qu’il y ait même là une possibilité. L’opposition entre l’avenir et le passé est absurde. L’avenir ne nous apporte rien, ne nous donne rien ; c’est nous qui pour le construire devons tout lui donner, lui donner notre vie elle-même. Mais pour donner il faut posséder, et nous ne possédons d’autre vie, d’autre sève, que les trésors hérités du passé et digérés, assimilés, recréés par nous. De tous les besoins de l’âme humaine, il n’y en a pas de plus vital que le passé . » 

Simone Weil, L’enracinement, 1943

Un paysage est une propriété collective, c’est le lieu de rencontre entre un homme , des hommes qui le travaillent, le révèlent à travers une production, c’est une construction humaine à partir d’éléments existants, dans un lieu particulier et un climat spécifique, à un moment donné, puis perpétué et pérennisé ou encore parfois abandonné. Il s’agit donc bien d’une histoire d’une communauté humaine qui dans un lieu particulier, unique, a souhaité à un moment donné s’inscrire dans un récit : ce lieu dont nous héritons, nous a été confié et nous nous devons d’être dans la recherche d’une harmonie, d’un va-et-vient permanent entre le respect des éléments naturels qui nous sont « offerts » et notre ouvrage qui les met en évidence, les révèle ou peut les détruire.

Hériter , sauvegarder et maintenir un paysage est bien une œuvre collective soumise à des règles dictées par la recherche de l’équilibre entre la nature, un environnement particulier, unique et l’accomplissement d’un travail humain agissant plus comme un révélateur, un accoucheur que comme un créateur : le paysan qui façonne son milieu est plus proche d’un musicien interprétant une œuvre qu’à son compositeur : la partition est déjà écrite mais elle laisse suffisamment de place à chaque génération pour que celle-ci puisse la jouer avec sa sensibilité et participer ainsi à la permanence de la création !

Marc Parcé